- par Patrice Gassenbach

Ne pensez-vous pas que la démocratie libérale est en danger ?
Avez-vous déjà oublié que contre vents et marées vous avez pour la plupart d’entre vous soutenu François Fillon au lieu d’exiger son retrait ?
Croyez-vous que votre aveuglement collectif, vos solidarités partisanes, voire votre défaut de courage, qui ont consacré l’échec de la Droite Républicaine et du Centre à la dernière présidentielle vous exonèrent de toute responsabilité devant ceux qui étaient et qui restent attachés au libéralisme, aux valeurs républicaines et à l’Europe ?
Considérez-vous que la situation misérable des Républicains est liée seulement à Laurent Wauquiez et à ses affligeants porte-paroles ?
Etes-vous prêts à admettre que vos électeurs perdus sont ceux qui comme moi ont refusé de voter pour François Fillon l’imposteur et qui ont voulu, dès le premier tour en votant pour Emmanuel Macron, écarter le risque d’une confrontation finale entre Bécassine et Furax le Vénézuélien ?
Ignorez-vous, vous qui connaissez si bien l’histoire de France, que le pouvoir, quelle que soit sa nature, croise toujours des réseaux sulfureux et attire toujours des intermédiaires douteux en quête de profits illicites ?
Avez-vous oublié la liste interminable des affaires qui ont secoué la Vème République depuis 1958 ?
Quand cesserez-vous de faire un procès au Chef de l’Etat pour reconnaissance à l’égard d’une personne qui avait assuré sa sécurité ?
Avez-vous accablé Nicolas Sarkozy qui s’est trouvé à son corps défendant dans la même équation avec des amis bruyants ?
Savez-vous comme Jean Paulhan qu’ « Un ami, c’est quelqu’un sur qui vous pouvez compter pour compter sur vous. ».
Etes-vous prêts à reconnaître enfin que l’affaire Benalla est un dossier de droit commun et qu’il est temps de respecter le principe de la séparation des pouvoirs et ce d’autant plus que les juges sont saisis ? Et à peser au sein des assemblées pour remettre du droit et de l’ordre dans les modalités de mise en œuvre et de fonctionnement des commissions d’enquête parlementaire ?
Comme vous lisez tous beaucoup, confer vos confidences médiatiques d’été à propos de vos lectures, et comme vous aimez la France vous avez sans aucun doute lu attentivement « La France Périphérique » (2015) et « Le crépuscule de la France d’en haut » (2016) de Christophe Guilluy, et ce d’autant plus que vous avez été des acteurs engagés pendant la campagne présidentielle de 1995 sur le thème de la fracture sociale.
Elus dévoués de proximité ayant tous exercé le noble mandat de Maire, vous connaissez, pour avoir reçu dans vos permanences nos concitoyens, les difficultés multiples auxquelles ils sont confrontés, et vous ne pouvez donc pas ignorer que plus de 6 millions d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté suivant l’INSEE.
En votre qualité de lecteurs assidus du Figaro, vous avez pris connaissance des résultats de l’enquête réalisée par Odoxa et Dentsu Consulting les 2 et 3 janvier 2019 qui à propos des souhaits des Français pour l’année 2019 place l’augmentation du pouvoir d’achat et la diminution de la pauvreté et de la précarité en première et deuxième position, loin devant la question de l’immigration qui arrive au 6ème rang avec 26%.
Il résulte de ce qui précède que les maladresses de communication du Chef de l’Etat, la rigidité du Premier Ministre sur des mesures inappropriées ou mal adressées comme la taxe sur les carburants, au surplus décorrélée en termes d’impact significatif sur la pollution, ou la CSG sur les retraites, ne sont que des détonateurs de la crise populaire qui couvait.
Le mal est beaucoup plus grave car c’est le résultat de trente années de renoncement, de procrastination et de démagogie. C’est également un immense déficit d’exemplarité civique, de solidarité sociale, de pédagogie non technocratique et de respect. C’est également un vif rejet à l’égard de l’entre-soi et de la société de connivence où les fautes ne sont jamais sanctionnées.
Jacques Attali, dans un ouvrage récent et remarquable « Comment nous protéger des prochaines crises », a identifié les huit formes de celles auxquelles nous pourrions être exposés :"
Financière : quand le système financier, trop endetté, perd la confiance de ceux qui y ont investi
Économique, quand l’économie s’effondre, faute d’une demande suffisante.
Sociale : quand le chômage explose et les inégalités s’accumulent, rendant les élites illégitimes, et le mérite n’est plus un facteur de réussite.
Politique : quand le système politique est contesté parce qu’il n’a pas su gérer les crises précédentes.
Géopolitique : quand basculent les rapports de force entre nations.
Technologique : quand l’homme est dépassé par des technologies qui peuvent lui nuire.
Ecologique : quand surgit une pénurie majeure, ou un dérèglement systémique de l’environnement, provoqués par les dérèglements précédents.
Idéologique : quand les valeurs sur lesquelles sont fondées les sociétés sont mises en cause. "
Il me semble bien, ne pensez-vous pas, que nous y sommes ?
Comme vous voyagez beaucoup, vous avez pu mesurer combien les rapports aux plans militaires et économiques se crispent entre les Etats-Unis et la Chine alors que les dictatures se multiplient dans le monde, que la Russie, entre provocations et alliances à géométrie variable, reste en quête de sa grandeur perdue et qu’Erdogan achève de détruire définitivement le kémalisme et ses vertus laïques.
Comme Européens vous savez que depuis 60 ans l’Union assure la paix, la libre circulation des personnes et des biens et que ni la Chine, ni les Etats-Unis, ni la Russie ne veulent d’une Europe puissante qui avec plus de 500 millions de citoyens génère 25% du PIB mondial.
Je ne doute pas de votre attachement à l’Euro, qui est la monnaie solide de notre espace économique, dans lequel on trouve de grandes entreprises qui sont parmi les plus performantes du monde, qu’il s’agisse de l’énergie, de l’aéronautique, des services, des infrastructures, de l’agro-alimentaire et de la recherche, sans compter quelques prestigieuses universités et son exemplaire tissu de PME et de grands entrepreneurs familiaux.
Mais vous savez aussi que l’Union est menacée de dislocation, Brexit, Pologne, Hongrie, Italie,… que nous n’avons pas de défense européenne et que nos carences collectives ont entre autres permis les comportements fiscaux déloyaux de l’Irlande, des Pays-Bas et du Luxembourg, sous oublier le coup d’Etat réalisé à son profit par la technostructure de Bruxelles en 2012 à l’occasion du traité de Lisbonne qui a dessaisi le Conseil européen de son pouvoir de décision dans la procédure de désignation du Président de la Commission et dont les excès nourrissent chaque jour davantage les démagogues nationalistes qui ont transformé l’Union en bouc émissaire.
Comme je ne veux pas croire que vous n’êtes pas inquiets pour notre pays, cela me conduit à vous interroger.
Comment entendez-vous répondre à la conjuration des anti-européens qui souhaitent transformer la prochaine élection Européenne en règlement de compte national pour remettre en cause, hors du fonctionnement normal de nos institutions, le résultat de la dernière élection Présidentielle ?
Que comptez-vous faire quand le Chef de l’Etat se trompe de mesure économique pour parer au plus pressé alors qu’au plan international il a remis la France dans le peloton de tête des pays attractifs ?
Que comptez-vous faire quand Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen bafouent la justice en grimaçant et encouragent directement ou indirectement à la sédition et à l’agression contre nos forces de l’ordre ?
Que comptez-vous faire face à la carence du CSA devant les traitements éditoriaux des médias en continu des manifestations ?
Comment réagissez-vous face à ces chaines de télévisions et de radios qui se sont révélées être des agents de liaison entre les manifestants et les casseurs de plusieurs villes ?
Comment appréciez-vous ces micros tendus aux mauvaises personnes, relayant les propos injurieux à l’égard du Chef de l’Etat et de son entourage ou des invitations à prendre d’assaut l’Elysée ?
N’avez-vous pas été choqués par ces débats indignes : pugilats, bêlements, braiements, beuglements, vociférations, organisés par des éditorialistes qui ont fait leur miel des désordres et des violences pour faire plus d’audience ?
Vous êtes-vous interrogés sur les conditions dans lesquelles ont été invités sur les plateaux ces experts auto-proclamés dont les publications sont si sacrées, pour reprendre l’expression d’un libraire, « que personne n’y touche » ?
Quelles réflexions vous inspirent ces éditorialistes bavards qui s’interrogent entre eux pour commenter leurs commentaires respectifs et qui émettent avec suffisance et une légèreté insoutenable des avis sans appel ? J’espère que vous n’avez pas manqué les déclarations de deux célèbres bêtas qui, pour le premier, a déclaré qu’il emm… le Chef de l’Etat et pour le second, qu’il était le seul Chef à bord !
Mesurez-vous la nature insurrectionnelle de la crise à laquelle notre pays est confronté lorsque des policiers, des élus et des parlementaires sont agressés sans une protestation unanime des élus de la Nation et que s’engage une course de vitesse entre le Rassemblement National, La France insoumise et Debout la France pour récupérer les gilets jaunes ?
Aux crises identifiées par Jacques Attali, j’ajouterai celle liée au poids des réseaux sociaux, lesquels, conjuguant la tyrannie du bruit, de la fureur et de l’immédiateté, considèrent que la volonté du peuple n’a plus besoin de corps intermédiaires, ce qui illustre parfaitement l’abstention toujours plus grande et la relégation au dernier rang de la confiance dans les partis politiques.
Avec pertinence, Yascha Mounk, dans son essai « Le peuple contre la démocratie », nous rappelle alors que nous considérions depuis toujours « que le libéralisme et la démocratie formaient un tout cohérent », que ce n’est plus le cas et que ces « deux éléments cruciaux de nos systèmes politiques sont désormais entrés en conflit ».
Il en résulte que les réseaux sociaux, selon lui, favoriseraient à la fois « les forces du changement et du désordre ». Ce constat me semble d’autant plus périlleux quand des leaders politiques populaires deviennent des baratineurs ou des bateleurs, et que leurs propos intellectuellement malhonnêtes, à force d’être réitérés, sont banalisés au point de devenir des vérités d’évidence.
Au surplus, l’alliance dans l’espace médiatique politique du Net et de la « télé café du commerce » assure le succès de l’émotion, des mensonges et le recul de l’exigence cognitive pour le plus grand péril de nos libertés et ce d’autant plus que notre pratique démocratique nous conduit davantage à privilégier les mesures populaires à celles qui sont impopulaires, au détriment de la prise en compte de la réalité.
Aussi, et en raison de cette situation explosive, je considère que notre pays doit se mobiliser sur deux objectifs :
Continuer à se réformer ;
Adresser un message européen à l’ensemble des pays de l’Union en plaçant en tête aux prochaines élections Européennes une liste qui veut construire l’Europe contre ceux qui veulent la détruire et qui n’ont pas compris que l’isolement dans le cadre de la bataille mondiale ne peut déboucher que sur le chaos et la ruine.
Il faut donc s’approprier le grand débat et y participer activement même si de nombreuses questions restent en suspens et que de multiples risques subsistent sur le périmètre des sujets à aborder, tel par exemple la question du RIC dont les modalités de mise en œuvre inquiètent les constitutionnalistes.
Il va de soi que notre participation ne saurait être maintenue en cas de remise en cause de nos grands acquis sociétaux ou s’il apparaissait qu’il s’agisse d’une opération chloroforme.
En réalité, notre participation doit être conditionnée à l’idée que les réformes seront poursuivies dans un cadre idéologique où le mot libéral n’est pas un gros mot et que les réformes qui auront été identifiées feront l’objet d’une procédure accélérée pour leur mise en œuvre car l’urgence c’est de réformer, de réformer et encore de réformer.
Les pro-Européens doivent s’organiser pour constituer une liste commune afin d’envoyer au Parlement des députés compétents qui représenteront la France et non des boutiques et faire en sorte que le front de la destruction ne soit pas majoritaire dans notre pays.
Cela signifie qu’il faudra en finir avec cette pratique détestable d’investir des recalés de l’Assemblée Nationale ou du Sénat et exiger de nos députés européens un travail quotidien de participation aux travaux de l’Assemblée Européenne mais aussi une obligation de rapporter à nos concitoyens.
Quand des formations politiques détournent des fonds européens pour financer leurs partis cela ne m’étonne qu’à moitié, mais ce qui m’indigne le plus, alors que l’Europe est contestée, c’est que des députés pro-européens restent quasiment silencieux et ne se mobilisent jamais pour la défendre ni même prendre la peine d’expliquer leur travail.
A ma connaissance, à une ou deux exceptions près, je crois qu’aucun d’entre eux n’a relayé publiquement ou médiatiquement le contenu du site de la Commission « Ce que l’Europe fait pour moi ».
Valéry Giscard d’Estaing, dès 2014, aux termes de son livre « Europa », nous a prophétiquement invités à mettre en œuvre une méthode de relance de l’Europe fondée sur la construction, sans modification des traités, d’une organisation autour d’un noyau de pays désireux d’avancer pour partager un directoire, un budget et une même fiscalité.
Aujourd’hui, les dangers sont tels qu’il convient de suivre les recommandations de VGE qui nous rappelle que « Ce projet d’Europa vous appartient. Pour le mener à bien, il vous faudra abandonner beaucoup de vos pensées négatives, l’égoïsme individuel, la peur du changement, et croire dans l’espoir de bâtir une des grandes civilisations du XXIe siècle ! ».
Vous devez inviter fermement Laurent Wauquiez à cesser d’instrumenter la bataille européenne pour « en faisant disparaître le commun » relégitimer sa présidence.
Dans « Demeure », François-Xavier Bellamy faisait observer « (…) le débat n’est plus qu’un combat où chacun cherche à imposer l’efficacité de ses répliques. La politique n’est plus qu’une juxtaposition d’individualités, de communautés, qui entrent en lutte pour faire prévaloir leurs intérêts. ».
Comment Laurent Wauquiez peut-il imaginer un instant qu’un esprit aussi avisé acceptera d’avoir sur sa liste d’ineffables sortantes, célèbres pour leurs écarts de langages, dont la reconduction sur une liste dirigée par François-Xavier Bellamy ferait penser immédiatement à la célèbre émission « La tête et les jambes » !
Ma lettre est sans doute trop longue mais les enjeux sont tels qu’il me semble urgent de faire une liste Europa commune avec le Modem, En Marche, l’UDI et des personnalités écologistes.
Je sais que vous avez tous un grand sens des responsabilités et que la France est votre passion, aussi je considère que vous n’avez pas de temps à perdre pour entre vous vous concerter et, sur ma suggestion, mettre en œuvre un tel processus de sursaut.
Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, dont le sens de l’Etat n’est plus à démontrer, sont à même de vous aider pour mobiliser toutes les forces de notre pays attachées, comme eux, au projet européen.
J’ai commencé par votre grave erreur présidentielle. Vous avez l’occasion de la réparer en vous mobilisant pour construire une liste d’union élargie dans l’intérêt de notre pays et de l’Europe.
C’est une impérieuse et ardente obligation, qui pourrait être incarnée par Michel Barnier.
- par Patrice Gassenbach
C’est sous ce titre que Le Figaro du 7 novembre 2017 évoquait le défi relevé par un industriel de l’agroalimentaire pour recréer une filière française du cornichon.
En réalité, Le Figaro et ses éditorialistes auraient dû utiliser ce titre à l’occasion de la primaire de la droite qui a abouti au choix calamiteux de François Fillon pour la Présidentielle.

Dans son livre « Qui imagine le Général de Gaulle mis en examen ? : Chronique sécrète d’une élection imperdable … » (1), Georges Fenech a longuement démontré l’inanité de la thèse du complot, l’aveuglement et la médiocrité de l’entourage du candidat de la droite et du centre, à l’exception de lui-même, de Bruno Le Maire, de Thierry Solère et de Patrick Stefanini, qui l’avaient invité à se retirer, en rappelant, à juste titre, le constat d’André Malraux selon lequel si « on ne fait pas de politique avec la morale on en fait pas davantage sans ».
C’est ainsi qu’au premier tour, convaincu de l’élimination de François Fillon, j’ai voté pour Emmanuel Macron parce que je craignais un duel de deuxième tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, et que j’ai récidivé au deuxième tour pour éliminer Marine Le Pen.
Je n’avais certes pas prévu le raz-de-marée aux législatives de la génération spontanée des candidats Internet de la République en Marche, même si cette victoire doit être relativisé par les effets amplificateurs de notre mode de scrutin et par une abstention le 18 juin dernier proche des 58 %, avec 10 % de bulletins blancs ou nuls.
Or, quoi qu’il en soit, Emmanuel Macron est sorti renforcé de cette élection puisque les Français qui se sont mobilisés lui ont permis de réaliser un coup de balai digne de celui qu’avait connu l’Assemblée Nationale en 1958.
Au surplus, cette situation n’a pas été altérée par les résultats des dernières sénatoriales liés, il faut le rappeler, aux votes d’élus locaux légitimés électoralement avant le bouleversement que nous venons de connaître, ce qui prouve une fois de plus qu’il est urgent, comme le souhaitait le Général de Gaulle, de supprimer le Sénat ou d’en réduire considérablement les effectifs en le fusionnant avec le Conseil Economique et Social sur la base d’une compétence strictement économique et financière qui pourrait être abondée par les travaux de la Cour des Comptes.
Objectivement, et avant de venir sur le fond, nous devons remercier Emmanuel Macron pour avoir :
démontré que Marine Le Pen n’était pas au niveau des responsabilités qu’elle briguait ;
détruit le Parti Socialiste ;
jeté le sortant comme un Kleenex ;
fait observer que le talent oratoire du petit Robespierre, comme le surnomme Michel Onfray, se transformerait en gesticulations bolivariennes au Parlement ;
mis en évidence les contorsions des dirigeants de l’UDI ;
ressuscité François Bayrou pour mieux le vassaliser avant de l’éliminer ;
dilacéré Les Républicains qui disposent maintenant de quatre années pour se reconstruire.
A la fois et en même temps
Aujourd’hui, les Français considèrent, à juste titre, que la France est gouvernée par une majorité centriste à l’Assemblée Nationale, avec 314 députés LRM, 47 MODEM et 35 Constructifs.
Comme le constate Pierre-André Taguieff dans son ouvrage « Macron : miracle ou mirage ? »(2), Emmanuel Macron a « inventé un nouveau centrisme » composé de Français en situation aporétique : à la fois de gauche et de droite mais en même temps ni de droite, ni de gauche.
Cette observation n’est pas anodine car si aucun d’entre nous ne souhaite l’échec de notre pays, celui d’Emmanuel Macron n’est pas à exclure, pour des raisons que nous aborderons plus loin. Il en résulte par conséquent que le risque d’une alternance extrême ne peut être écarté, comme le prouve la montée préoccupante des partis d’extrême droite ou d’extrême gauche en Europe.
Ce risque est d’autant plus grand que les réformes sont toujours longues à produire leurs effets et que s’aggravent dans notre pays : la pauvreté qui affecte 6 millions de nos compatriotes, les craintes liées à l’immigration, à l’insécurité, au retour des djihadistes et la méfiance populaire vis-à-vis des élites.
A cet égard, Alain Juppé, au lieu d’affirmer récemment et péremptoirement qu’ « un peuple sans élite est un peuple sans repères », aurait été plus pertinent s’il s’était interrogé sur la question de savoir si un peuple qui s’égare, ne s’égare pas à cause de ses élites ? Ou plus exactement si l’aveuglement des élites n’explique pas la jacquerie électorale qui se répète, scrutin après scrutin depuis trente ans !
En effet, quand l’école, les services hospitaliers et la justice se désagrègent, que les pompiers, les médecins et les policiers sont agressés et injuriés, que des zones de non droit existent dans plus de 70 villes en France, que la haine raciale s’affiche, que des mouvements religieux contestent la prédominance des lois de la République, que les trafics de toutes sortes prospèrent en toute impunité, que légalement des grandes multinationales échappent à l’impôt, il arrive un moment où une violence généralisée peut exploser.
La vinaigrette est fade
La volonté d’Emmanuel Macron de réformer la France est incontestable. Il est manifestement décidé à agir vite, comme l’était le Général de Gaulle en 1958. Il impose à ses équipes une discipline de fer et un rythme effréné. Au surplus, il ne craint pas l’impopularité et n’hésite jamais non sans courage à échanger avec ses contradicteurs à l’occasion de ses déplacements en France.
Alors que le clivage droite-gauche est de retour, la bienveillance, l’agilité, la détermination et la fermeté, risquent malheureusement d’être insuffisantes car Emmanuel Macron, qui a rendez-vous avec les vieux démons de notre pays : l’indiscipline, l’individualisme, les corporatismes, adresse trop de signes contradictoires aux Français.
Qu’il s’agisse :
de la cérémonie d’investiture du Louvre, destinée à sacraliser à nouveau la fonction présidentielle, aux effets anéantis quelques semaines plus tard par les conditions de sa participation à la mise en scène de la manifestation en soutien à la candidature de Paris aux Jeux Olympiques, au lieu de se réserver, grâce à son aura internationale, pour l’Exposition universelle de 2025.
à l’occasion du congrès de Versailles ou du discours d’Athènes, où son goût du lantiponnage a même laissés pantois les intellectuels de gauche, c'est-à-dire les Mutins de Panurge, pour reprendre l’expression de Philippe Muray.
de son appétence pour la chasse aux trophées : Nicolas Hulot, Gérald Darmanin, Edouard Philippe, et demain sans doute Zig Zag (je vous laisse deviner), dont il semble que le seul objectif est de créer de la confusion, sur la base des recommandations du bréviaire des politiciens du Cardinal Mazarin.
du souci de nourrir les magazines ou les médias, par des scènes inattendues d’hélitreuillage ou d’apparitions dans des panoplies diverses et variées.
du choix de s’exprimer en anglais à l’occasion des grandes manifestations internationales, alors que la langue française est la substance même de la nation française et que le développement de l’anglais joue un rôle essentiel, comme le souligne si justement Claude Hagège(3), pour consolider la suprématie de la culture libérale, mondialiste et par nature anti-européenne. Chacun sait que l’exigence républicaine est en effet de s’exprimer dans les manifestations internationales en français, notamment eu égard au poids de la francophonie.
de son volontarisme européen, qui risque de devenir incantatoire par défaut de réalisme, notamment en raison de son alignement excessif sur l’Allemagne et de sa volonté de donner des leçons à l’ensemble des membres de l’Union, alors que cela serait plus avisé de réfléchir à reconstruire d’urgence l’Europe autour d’un noyau dur de pays. Comme le suggère Ivan Krastev dans son ouvrage « Le destin de l’Europe »(4), « Il est temps de mettre au rebut nos espoirs naïfs » si nous voulons que la légitimité de l’Union Européenne ne soit pas remise en cause par les peuples.
Par ailleurs, et sans doute par souci d’efficacité, Emmanuel Macron a nommé huit personnalités de premier plan, issues des meilleures écoles de la République, pour, entre Matignon, Bercy, les ministères et l’Elysée, fluidifier et nourrir l’action politique de notre pays. Ce qui a conduit entre autres raisons quelques éditorialistes à considérer que le Macronisme relevait du Saint-Simonisme, puisque cette doctrine du 19ème siècle entendait substituer au Gouvernement des Hommes l’administration des choses puisqu’une nation ne saurait être autre chose qu’une entreprise.
Or, l’ambition de gérer la France comme une entreprise ou une startup est annonciatrice de grandes désillusions parce que les startups créent peu d’emplois, que beaucoup d’entre elles meurent rapidement et que les grandes entreprises sont de plus en plus exposées, à défaut de se transformer, au risque de disparaître par consolidation ou destruction.
Chacun sait que la compétition mondiale se caractérise par une financiarisation démesurée des activités économiques et que les objectifs prioritaires des entreprises visent à faire toujours plus de profits et à gagner des parts de marché, lesquels sont incompatibles avec la complexité géopolitique du monde, même si celles-ci ont une très grande expertise pour en bonifier les failles fiscales(5). Il me semble que c’est le Général de Gaulle qui avait rappelé que « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille » !
« L’avertissement à l’humanité » adressé par 15 000 scientifiques pour sauver la planète, la prise en compte de la misère dans le monde, les problèmes éthiques posés par le transhumanisme et les manipulations génétiques ne sont pas les priorités des grandes entreprises même si celles-ci se repeignent en vert ou créent des fondations pour s’acheter des indulgences !
Je reste également perplexe sur le rapport à la laïcité de notre Président, notamment après son discours en Terre Radicale à Lyon en février 2017 lorsqu’il a déclaré qu’ « il n’y avait pas une culture française mais une culture en France diversifiée », ce qui revient à glorifier le communautarisme.
Je n’ai pas oublié que le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), que l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans, comme Tariq Ramadan, ont appelé pendant la Présidentielle à voter pour Macron, alors que 28% des musulmans sont adeptes d’un islam qui considère que les lois de l’islam sont supérieures aux lois de la République.
La tentation du bocal
Les Républicains, à qui tout était promis en juin 2017, ont réussi en très peu de temps à remplir le bocal. Il faut donc espérer qu’ils ne recommenceront pas les mêmes erreurs, or, force est de constater que c’est mal parti.
En excluant des personnalités, apparemment efficaces dans leurs nouvelles charges, ils n’ont pas eu à l’esprit que le débat interne est toujours préférable aux divisions, et ce d’autant plus que les bras séculiers de cette misérable sanction ont oublié qu’elle est le résultat des refus conjoints de Jean-Pierre Raffarin et d’Alain Juppé d’institutionnaliser les courants lors de la création de l’UMP.
C’est Françoise Giroud qui refusait de tirer sur les ambulances.
Dès lors, sanctionner pour traitrise des personnalités débauchées ou séduites, c’est assurément excessif et c’est oublier l’invitation de Georges Clemenceau à relativiser de telles situations lorsqu’il rappelait qu’ « Un traître est celui qui quitte son parti pour s’inscrire à un autre ; et un converti, celui qui quitte cet autre pour s’inscrire au vôtre.».
Alors que Laurent Wauquiez a sans doute toutes les chances de devenir le Président du parti Les Républicains, je constate avec inquiétude qu’il n’a pas mis à jour son logiciel.
J’ai écouté avec attention, tout en restant dubitatif, ses dernières déclarations. Je ne pense pas en effet, alors que la priorité est de reconstituer une opposition crédible, qu’une stratégie fondée sur le seul critère de combattre intuitu personae Emmanuel Macron a quelque chance de réussir.
Il en va de même pour un certain nombre de personnalités au sein des Républicains qui refusent d’intégrer l’idée que pour redevenir une force d’alternance il sera nécessaire, au-delà d’une mobilisation des abstentionnistes, de reconquérir les électeurs perdus du Front National et de la France Insoumise.
De ce point de vue, je m’étonne des dernières déclarations d’Alain Juppé qui n’en finit pas de chercher à se survivre alors que son sort politique a été définitivement tranché par ses propres électeurs et qui oublie ce qu’il écrivait dans la préface du livre de Maël de Calan « Je respecte les électeurs du Front national, comme je respecte tous les Français. Je sais que pour la grande majorité d’entre eux, leur vote est un cri de colère ou de désespoir. Un défi qu’ils lancent aux responsables politiques qui ont été incapables de résoudre leurs difficultés. Ils méritent de vraies réponses aux questions qu’ils posent et de vrais remèdes aux difficultés qu’ils rencontrent. »(6).
Pour éviter de se retrouver dans le bocal Laurent Wauquiez ne manque pas de moyens. C’est ainsi qu’indépendamment de sa personnalité, il ne devra pas réitérer la mansuétude légendaire de Nicolas Sarkozy avec les barons de l’UMP, qui pour la plupart lui doivent leur carrière.
Il devra notamment renouveler ses équipes, sans perdre de vue toutefois que le jeunisme conduit à la gérontophobie, inviter au silence médiatique ceux qui se sont fourvoyés en participant à la manifestation du Trocadéro et suggérer à ceux qui ont perdu successivement des élections de se retirer ou de se taire.
Sur le fond, je lui suggère :
plutôt que d’incarner une droite décomplexée, de devenir le Président d’un Parti Conservateur Républicain, sur la base de l’analyse pertinente de Roger Scruton dans son ouvrage « De l’urgence d’être conservateur »(7) et d’inscrire sur son agenda la réflexion de Disraeli qui déclarait « Je suis conservateur car je garde ce qui est bon et je change ce qui est mauvais. » ;
au-delà de la mise en œuvre d’un vaste plan de réduction de la dette, du rétablissement d’une fiscalité partagée, d’un engagement européen réaliste et exigeant vis-à-vis du Luxembourg, des Pays-Bas, de l’Irlande, de la Pologne et de la Hongrie, comme de la Grèce et de Malte, de proposer aux Français un nouveau modèle de société en se donnant, dans un nouveau cadre européen, les moyens de surmonter les désordres de la compétition mondiale ;
de rétablir la distinction entre l’Etat et le monde économique en encadrant strictement le passage de la fonction publique à la fonction privée, pour éviter les situations de confusion et de conflits d’intérêts puisque l’État ou les collectivités locales sont souvent les principaux donneurs d’ordres ;
de revaloriser d’une manière très significative les niveaux de rémunération des élites de la fonction publique et territoriale.
C’est ainsi qu’il devra, pour convaincre les Français et leur redonner le goût de la politique et de l’avenir, ouvrir quatre chantiers ambitieux visant à :
une refonte totale des rapports entre l’Etat et les territoires car la démocratie de proximité, même si elle génère des coûts supplémentaires immédiats, est seule de nature à permettre d’éviter des dépenses ultérieures plus lourdes(8) ;
en finir avec l’idolâtrie technocratique pour les grandes villes ;
faire de l’engagement environnemental une ardente obligation ;
reconstruire la citoyenneté et le civisme car trop de nos concitoyens s’interrogent sur la loyauté des élites de notre pays(9).
La responsabilité de Laurent Wauquiez sera grande, si élu à la tête des Républicains, il échoue à reconstruire une opposition renouvelée et ouverte. A défaut, il ne sera pas Jupiter mais Crepitus !
1 « Qui imagine le Général de Gaulle mis en examen ? : Chronique sécrète d’une élection imperdable … », Georges Fenech, Edition First Document.
2 « Macron : miracle ou mirage ? », Pierre-André Taguieff, Editions de l’Observatoire.
3 « Contre la pensée unique », Claude Hagège, Odile Jacob.
4 « Le destin de l’Europe », Ivan Krastev, Editions Premier Parallèle.
5 « La Richesse cachée des nations. Enquête sur les paradis fiscaux », Gabriel Zucman, Seuil.
6« La vérité sur le programme du Front national », Maël de Calan, Plon.
7 « De l’urgence d’être conservateur, Territoire, coutumes, esthétique : un héritage pour l’avenir », Roger Scruton, L’Artilleur.
8 « Le crépuscule de la France d’en haut », Christophe Guilluy, Flammarion.
9 « Citoyenneté et loyauté », Yves Michaud, Kéro.
C’est à la France de porter le message de l’Europe économiquement intégrée, car elle seule possède l’imagination et le savoir-faire qui sont indispensables aux grandes évolutions.
Au moment où l'Europe fête le 60ème anniversaire du Traité de Rome, j'ai choisi de me faire l'écho du message d'espoir porté par l'ancien Président Valéry Giscard d'Estaing. « Europa » est un projet qu’il a détaillé avec l’ancien chancelier allemand Helmut Schmidt et je vous invite à lire ou à relire Europa (XO Editions). Pour en savoir suivre ce lien : Europa.
Europa n’est pas « un livre qui vise à être un manuel de droit public, mais une tentative pour inviter le lecteur à écrire l’histoire du futur, vers laquelle il pourra avancer les yeux ouverts ».
Dans sa conclusion, l’auteur nous lance cet appel : « Ce projet nous appartient. Pour le mener à bien, il vous faudra abandonner beaucoup de vos pensées négatives, telles les préjugés politiques, l’égoïsme individuel, la peur du changement, et croire en la force du grand espoir qui se présenter à vous de bâtir une des grandes civilisations du XXIème siècle, appuyée sur les fondements de notre histoire. Nous vous demandons de réussir ».
« Cette Europe intégrée, qu’il appelle à créer, Europa pour la distinguer de l’autre, a vocation à devenir une des trois puissances économiques du monde, ce qui l’arrachera à son pessimisme. Ce sera une puissance fidèle à ses alliances mais pacifique, c'est-à-dire qu’elle portera un message de paix après avoir été le lieu de naissance des deux derniers conflits mondiaux. C’est à la France de porter ce message, en liaison intime avec son grand partenaire allemand, car elle seule possède l’imagination et le savoir-faire qui sont indispensables aux grandes évolutions. Cela devrait être un enjeu central de la prochaine élection présidentielle française. Quel sera le candidat le plus qualifié pour rendre à la France son rôle d’inspiratrice du grand projet d’intégration économique de l’Europe ? (extrait de la chronique du Point N°2319 du 16 février 2017) ».
C’est bien à cette question à laquelle il nous appartient de répondre, en tant qu'électeur, lorsque nous irons porter, le dimanche 23 avril, notre bulletin de vote dans l’urne, en choisissant le candidat le plus apte pour qu'"Europa" devienne une réalité pour l’avenir.
En suivant le lien ci-dessous vous pourrez retrouver l’ancien Président Valéry Giscard d'Estaing au cours de conférences présentant son projet Europa : VGE
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